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Les trois fautes de l’Occident

Pour l’ancien ambassadeur de France au Sénégal, notre erreur est de décerner aveuglément le titre de « combattant de la liberté » à quiconque lutte contre un tyran.

Pourquoi les démocraties semblent-elles condamnées à reproduire toujours les mêmes erreurs ? Pourquoi, au nom des bons sentiments et de la pitié pour les victimes, avons-nous accouché des pires monstres ?Pourquoi, des Khmers rouges à Ben Laden, des terroristes qui ensanglantent l’Irak à ceux qui viennent de massacrer l’ambassadeur américain en Libye, avons-nous décerné le titre de « combattants de la liberté » à tant de gens qui n’avaient pour seule ambition que de pratiquer la terreur et d’instaurer à leur tour la dictature ?
Tout se passe comme si notre besoin d’idéal, notre indécrottable roman­tisme nous conduisaient toujours et partout à parer de vertus imaginaires les pires criminels, pourvu qu’ils soient habiles à nous faire les yeux doux…

La puissance des médias ne rend pas l’analyse facile. Tant que Saddam était au pouvoir à Bagdad ou Kadhafi à Tripoli, tant que la répression qu’ils exerçaient sur leurs peuples était relayée par toutes les télévisions du monde, il était difficile de poser ces questions. Tout doute concernant le bien-fondé d’une intervention internationale, toute réserve quant à la nature démocratique des « rebelles » étaient considérés comme une faiblesse face à la dictature. La dernière fois que nous avons vécu cet unanimisme guerrier fut la crise libyenne. L’heure était à l’action ; la réflexion viendrait après. Silence dans les rangs !

A vrai dire, il semble que ce ne soit jamais le moment de penser. Il y a toujours un Bachar El-Assad pour mas­sacrer son peuple, imposer le silence à nos doutes et discréditer nos scrupules.
Pourtant, après les guerres « justes » d’Afghanistan, d’Irak ou de Libye, il est plus que jamais temps de réfléchir à nos erreurs. La mort de l’ambassadeur Stevens en Libye était peut-être le choc nécessaire pour atteindre un semblant de lucidité. Face aux dictatures sanguinaires, nous commettons trois erreurs principales.

Incarner le mal

Donner un visage au mal est le moyen de mobiliser les énergies. ­Saddam, Milosevic, Kadhafi ont joué ce rôle à la perfection. Quand l’ennemi est plus collectif (les Russes puis les talibans en Afghanistan, les islamistes au Nord-Mali), la mobilisation est plus difficile. Hélas, cette incarnation du mal laisse croire qu’abattre un seul homme permettra de dénouer la crise. Là est le grand malentendu. Souvenez-vous de George Bush proclamant, après la chute de Saddam : « La guerre est finie ! » Même autosatisfaction de Sarkozy et Cameron à Benghazi, après la déroute de Kadhafi. Or, la dictature, en tombant, ouvre au contraire la voie au chaos. Les choses sérieuses commencent et, malheureu­sement, les droits humains, pour lesquels on s’était mobilisé, sont plus menacés que jamais.

Toute l’histoire des printemps arabes est fondée sur ce malentendu. Moubarak et Ben Ali partis, la démocratie, croyait-on, était là. Des commentateurs lyriques décrivaient des lendemains chantants. Que le peuple, sur place, ait célébré une victoire sur la tyrannie, c’était légitime. Mais que les grandes puissances se soient aveuglées au point d’y voir l’entrée dans la démocratie, c’est pour le moins naïf.

Dans les endroits comme la Libye où notre intervention a été décisive, le retrait brutal de toute présence étrangère au motif que le tyran était tombé est une faute extrêmement grave.
L’intervention internationale contre un régime politique en place suppose une présence longue, un effort prolongé pendant toute la période qui suit la chute du tyran. L’expérience de l’Irak ou de l’Afghanistan montre que c’est un effort qui se compte en années et en milliards.Cette réflexion vaut pour l’avenir, notamment en ce qui concerne la Syrie. Quel que soit le rôle criminel d’Assad et de son régime, il est illusoire de croire que sa chute réglera le problème et mettra un terme naturel aux violations des droits humains.

Idéaliser les « rebelles »

Nous en sommes restés, en matière de lutte contre la tyrannie, à l’exemple de la Seconde Guerre mondiale. Que l’affaire se passe dans les ­Balkans, en Asie centrale ou en Afrique, nous sommes invités à voir dans les ­résistants des émules de Jean Moulin. Il ­serait temps de prendre conscience que l’Histoire ne se répète pas. Le désert libyen n’est pas le plateau des Glières. Chaque situation historique a sa spécificité, et tout « rebelle » n’est pas un démocrate.

Nous ne pouvons pas faire l’économie de comprendre à qui nous avons à faire. Car la paresse est coupable, en la matière. La guerre froide, pour ­remonter à elle, nous l’a enseigné. Au motif de lutter contre les Soviétiques, les Occidentaux ont baptisé « combattants de la liberté » des gens aussi peu recommandables que Hekmatyar en Afghanistan ou Issayas Afeworki en Erythrée. Ce dernier n’est pas devenu par surprise l’affreux tyran qu’il est aujourd’hui. Sa vraie nature était apparente dès l’époque où il combattait l’Ethiopie rouge. Mais cela arrangeait tout le monde de ne pas le voir et de faire de lui une sorte de colonel Passy africain.

Cet aveuglement continue à faire des ravages. Pendant tout le printemps arabe, il a été pratiquement impossible de parler de l’opposition en termes ­objectifs. Le fait de lutter contre des dictateurs semblait donner aux manifestants un caractère automatiquement démocratique, au point que certains ont voulu théoriser l’entrée du monde arabe dans une ère post-islamiste. Qu’il y ait eu un grand nombre de démocrates parmi les manifestants est un fait incontestable. Mais que les seules forces politiques organisées soient restées islamistes et que des groupes très radicaux se soient renforcés ne l’est pas moins. Les élections qui ont suivi l’ont montré et les émeutes actuelles le confirment.

Le pire dans l’aveuglement a été atteint là où l’intervention armée occidentale exigeait un assentiment de l’opinion publique et donc la construction d’une fable politique dont la morale soit compréhensible par tous. Ce fut le cas en Libye. Nulle part l’identification des « rebelles » aux résistants français n’a été poussée plus loin. C’était pourtant un tour de force de travestir d’anciens dignitaires du régime Kadhafi, des chefs tribaux et des islamistes radicaux en réincarnation des FFI.

On pourrait penser que la chose n’est pas grave, l’essentiel étant de se débarrasser du tyran. Hélas, ce n’est pas aussi simple. Car, dans la phase vraiment décisive, celle qui suit la chute de l’oppresseur, la vraie nature de ceux qui se retrouvent au pouvoir réapparaît. Il est alors trop tard pour agir sur eux. Ils n’ont plus besoin de nous. C’est quand un mouvement est en lutte, quand il sollicite des appuis pour s’armer et vaincre qu’il est possible de peser sur lui, d’écouter ses propositions, de juger ses intentions véritables. Non seulement nous ne le faisons pas mais, au nom de l’efficacité, nous laissons bien souvent les « rebelles » pratiquer en toute impunité le racket et le meurtre, parfois même le massacre. Voyez l’embarras de la « communauté internationale » pour admettre que ceux qu’elle encourage, protège et parfois arme se ren­dent coupables d’atrocités. Comment ne pas voir dans cette indulgence un encouragement, et comment ne pas comprendre qu’elle fait, au sein des « rebelles », le jeu des plus radicaux ?

Croire qu’au nom du bien tout est permis

Notre complaisance pour les meurtriers n’est pas seulement le fait d’un manque de lucidité. C’est hélas parfois un calcul cynique. Nos gouvernants ont des diplomaties, des services secrets et des chercheurs suffisamment compétents pour ne pas ignorer, eux, la vraie nature de ceux qu’ils soutiennent. Ils ont décidé que, dans le combat contre le mal, tous les moyens étaient bons, même les pires. Il y a là un mélange d’idéalisme propre à la démocratie et de cynisme tactique. Les hommes politiques élus privilégient le succès à court terme (le temps de l’élection) sur les conséquences à long terme (après moi, le déluge !)…

En Libye, la France s’est lancée dans une guerre totale contre le régime de Kadhafi. Dès lors, il n’y avait plus qu’une option : gagner. Comme l’envoi de troupes au sol était exclu, la seule possibilité était la victoire des combattants libyens. Les « alliés » se sont alors résolus à deux actions d’une extrême gravité – mais qui n’ont pourtant fait l’objet d’aucun débat : envoyer des armes aux insurgés et accepter de ­soutenir les meilleurs combattants qui se trouvaient souvent être les islamistes radicaux. Nous payons cette initiative aujourd’hui de deux manières : les armes prolifèrent dans tout le ­Sahara (le Mali en a fait directement les frais), et la Libye est sous la pression de groupes salafistes djihadistes puissants, ceux-là même qui viennent de commémorer le 11 septembre à leur manière.

Ces erreurs ne condamnent pas le principe d’interventions internationales destinées à s’opposer à la tyrannie et à protéger les droits humains. Mais elles imposent de construire une rigoureuse doctrine de leur emploi.Intervenir militairement n’est jamais ni anodin ni bref. A la chute du tyran succède une longue phase de reconstruction de la paix. Sommes-nous prêts à l’accompagner ? Les moyens économiques de nos pays en crise imposent de faire une évaluation réaliste de nos possibilités avant de nous lancer dans des aventures insoutenables.
Soyons lucides : des dictatures nouvelles sont en train de s’installer dans le monde, en particulier arabe, et elles s’avancent souvent sous le masque trompeur de la « libération », de la « résistance ». Réagir aux violations d’aujourd’hui est important, mais il l’est plus encore d’éviter, par nos actions maladroites, de créer les conditions pour que le pire succède au mal. Des talibans aux islamistes sahariens, des groupes radicaux libyens aux shebab de Somalie, ceux qui se disposent à devenir les dictateurs de demain ont, en tuant l’ambassadeur Chris Stevens, rendu hommage à Ben Laden. Lui comme eux avaient tous bénéficié, sinon de l’appui, au moins de la bienveillance des ­Occidentaux en général et des Etats-Unis en particulier. Ils en sont devenus les plus dangereux ennemis.
Avant de créer demain, ailleurs, d’autres monstres, réfléchissons.

Paris Match

( Ndlr : L’auteur a du se souvenir du livre de Anne Morelli,  » Principes élémentaires de propagande de guerre », lui meme etant basé sur les 10 principes d’Arthur Ponsonby qui sont:

1 Nous ne voulons pas la guerre
2 Le camp adverse est le seul responsable de la guerre
3 Le chef du camp adverse a le visage du diable (ou « l’affreux de service »)
4 C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers
5 L’ennemi provoque sciemment des atrocités, et si nous commettons des bavures c’est involontairement
6 L’ennemi utilise des armes non autorisées
7 Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes
8 Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause
9 Notre cause a un caractère sacré
10 Ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres.

Voir aussi Edward Louis Bernays, qui fut le premier a codifier les techniques de propagande qui furent misent en usage lors de la 1ere guerre mondiale et qui permirent de faire basculer l’opinion américaine d’ entrer en guerre en 1917.)

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