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Vers la fin de l’argent liquide ?

Lecteurs de cartes sur smartphone, cartes prépayées, avec l’essor des systèmes de paiement électroniques il est plus facile que jamais de se passer de numéraire. Mais si ces nouvelles pratiques sont souvent commodes pour les consommateurs, elles ont pour revers des frais et des risques. Et tout autant qu’une évolution technologique inéluctable, elles traduisent un changement de modèle économique des banques de détail. Mais l’usage du liquide résiste, et pas toujours là où on l’attendrait.

Il y a certaines choses que vous ne pouvez régler qu’en liquide, ou du moins c’est ainsi que cela se passait jusqu’à présent. Plus de monnaie pour le parcmètre ? Pas de souci: de plus en plus de municipalités ont mis en place des machines automatiques qui acceptent les cartes bancaires ou les cartes prépayées, et on voit aujourd’hui apparaître des applications permettant aux automobilistes de payer leur place de parking au moyen de leur smartphone. Les sociétés d’autoroute ont déjà mis en place des passes et des systèmes de télépaiement, qui déduisent l’argent de votre compte prépayé à la minute où vous passez le péage. Même les vendeurs de rue ont maintenant des lecteurs de cartes de crédit qui se fixent à leur smartphone ou à leur tablette.

Grâce à de multiples innovations technologiques, il semble que les consommateurs aient de moins en moins de raisons d’avoir recours à l’argent liquide. En fait, de nombreux banquiers et économistes ont déjà montré qu’ils pouvaient désormais se passer de liquide au quotidien. Mais sommes-nous prêts à devenir une société sans numéraire? L’argent liquide est aujourd’hui la solution la plus coûteuse pour les banques et les entreprises qui gèrent les opérations financières. Mais elles auront du mal à convaincre les consommateurs de renoncer à leur petite monnaie.

La plupart des observateurs semblent penser que si la technologie est en place pour une vie sans monnaie physique, la société a encore un long chemin à parcourir avant que tous les paiements soient effectués en numéraire. Certes, « ce n’est pas hors du domaine du possible. Mais cela ne se fera pas demain, même si nous en prenons la direction », explique Shawndra Hill, professeur de systèmes d’information à l’université de Wharton.

Le souci de confidentialité et les inquiétudes sur la propension des banques ou des commerçants à obtenir des renseignements personnels sont parmi les principales raisons pour lesquelles les consommateurs hésitent à se passer de liquide, note Shawndra Hill : « Beaucoup de gens ne veulent tout simplement pas que tous leurs mouvements soient documentés. » Ron Shevlin, analyste principal chez Aite Group (Boston), ajoute que la démographie est l’une des raisons pour lesquelles l’argent physique va perdurer. « Bon nombre de personnes âgées ne sont pas prêtes à abandonner le liquide, et une grande partie des baby-boomers non plus. »

De fait, aux Etats-Unis les consommateurs de tous âges semblent même aujourd’hui retirer plus d’argent liquide qu’il y a quelques années. Selon les données les plus récentes de la Réserve fédérale, en 2009 les consommateurs ont retiré 629 milliards de dollars aux guichets automatiques, soit une hausse de près de 3% par rapport à 2006. Ce chiffre est à rapprocher du déclin relatif des cartes de crédit depuis la crise des subprime. La Réserve fédérale signale ainsi qu’en 2011, les consommateurs devaient 803,8 milliards de dollars de « crédit renouvelable », principalement en encours de cartes de crédit, et que ce chiffre était en baisse de près de 15% par rapport à 2007. Ces statistiques pourraient être attribués à la prudence nouvelle des consommateurs qui tentent de réduire leur endettement, soit parce que leurs moyens ont diminué, soit parce qu’ils ne veulent plus être pris dans la spirale du crédit.

Ce regain de vigueur des paiements en liquide est probablement temporaire et ne devrait pas remettre en cause une tendance de fond. Aux Etats-Unis, l’utilisation de la monnaie physique diminuera de 3% par an jusqu’en 2015, selon un récent rapport d’Aite Group (« The Less-Cash Society: Forecasting Cash Usage in the United States », 2010). Mais ce chiffre ne fait pas apparaître une rupture radicale. Et, plus généralement, une société complètement « cashless » n’est pas pour demain. Pourquoi ?

Banques et consommateurs : les intérêts en présence
Le plus grand avantage que les consommateurs peuvent trouver à se passer de liquide, c’est que c’est plus pratique. Plus besoin de passer à la banque ou à un guichet automatique pour acheter une baguette. Dans certains pays d’Europe, les cartes bancaires sont déjà utilisables pour des sommes très modiques, et on voit aujourd’hui se développer des applications de paiement mobile qui permettent d’effectuer un achat sans même avoir une carte de crédit à portée de main.

Second avantage, en payant avec une carte ou un smartphone, on conserve une trace électronique complète de la transaction.

Mais bien souvent, les consommateurs paient le prix de ces avantages. Pas seulement sous forme de frais, mais en endossant des risques nouveaux. Tout d’abord ils dépensent plus et plus facilement. Sans même parler de la spirale du surendettement, même avec une carte bancaire classique sans débit différé le principe reste « achetez maintenant, payez plus tard » – ou plus exactement vérifiez plus tard que vous avez dépensé votre argent… et que vous êtes à découvert. Deuxième risque : il est beaucoup plus simple de voler les informations d’une carte de crédit ou de débit que de s’emparer de la carte, ou d’argent liquide. « Si vous ne surveillez pas vos comptes en ligne, votre relevé ne vous parvient qu’une fois par mois, et il faut l’examiner soigneusement parce que vous avez toujours un risque de perdre votre carte ou de voir quelqu’un obtenir votre numéro et votre code », explique Jack Guttentag, professeur émérite de finance internationale.

Il y a aussi des inconvénients plus discrets, mais qui peuvent être coûteux. Presque toutes les cartes de débit prépayées, par exemple, intègrent des frais d’activation et d’entretien. Et quant aux cartes de crédit classiques, même si vous abondez votre compte chaque mois pour éviter des frais, la cotisation annuelle n’est pas négligeable, en particulier si vous avez obtenu votre carte dans un programme de fidélisation. L’argent liquide est gratuit à utiliser, note Jeremy Tobacman, professeur de politiques publiques à la Wharton School of Business. « C’est un point qu’on oublie facilement, mais ce n’est pas une différence minime. Dans la plupart des formes de transactions électroniques, le consommateur paie – même s’il ne s’en aperçoit pas. »

Les banques et les sociétés de cartes de crédit ont un intérêt direct à convaincre les consommateurs de se convertir à l’argent électronique. En 2011, les émetteurs de cartes de crédit ont déclaré 154,9 milliards de dollars de recettes, selon le cabinet de conseil R. K. Hammer. Une autre étude du même cabinet a montré qu’aux Etats-Unis, en 2011, les revenus des frais ont dépassé ceux des intérêt, et ce pour tous les émetteurs de cartes (y compris cartes de crédit, cartes de débit et cartes prépayées). Même si, avec les nouvelles règles fédérales, les frais de découvert ont baissé par rapport aux années précédentes, ils ont totalisé 31,6 milliards de dollars en 2011, signale le cabinet d’études Moebs Services.

Pour les banques, réduire la dépendance des consommateurs aux pièces et aux billets signifie tout d’abord une capacité accrue à prélever des frais, mais aussi moins de clients à accueillir dans les succursales et donc moins de personnel, ou un personnel qui peut se consacrer à la gestion d’opérations plus rémunératrices. « Pour les institutions financières, ces nouvelles solutions de paiement sont tout simplement une source de profit », explique Jack Guttentag. « L’argent liquide est moins rentable, et il cause beaucoup de tracas. »

Avantage supplémentaire pour les banques et les commerces de détail qui reçoivent des paiements électroniques, chaque transaction permet d’intégrer des données client, dont la valeur est très élevée. Comme le note Ron Shevlin, les entreprises qui connaissent ainsi les habitudes de consommation de leurs clients pourraient l’utiliser à leur avantage : « Les responsables marketing ont un intérêt particulier à savoir comment vous dépensez votre argent, et les transactions démonétisées leur offrent beaucoup plus de possibilités sur ce point. »

Les voies de la transition
Quelle est au juste la part de l’argent liquide dans les économies modernes ? Aux États-Unis, pays qui n’est pas le plus en pointe sur ce sujet, 7% des paiements se font en liquide, d’après la Banque des règlements internationaux. De nombreux autres pays sont plus avancés dans le recours aux technologies de paiement mobile et le rejet des pièces et billets. Le plus notable d’entre eux est la Suède : l’usage du liquide ne représente que 3% de son économie. De nombreuses entreprises à Stockholm n’acceptent plus les règlements en numéraire, et plusieurs églises ont même installé un appareil acceptant les cartes de crédit pour faire la quête. Certaines petites villes fonctionnent entièrement sans numéraire.

L’accès aux dernières technologies et une population relativement petite ont contribué à l’avance de la Suède. Mais des questions culturelles jouent aussi, comme le suggère la comparaison entre Français et Allemands, ces derniers traditionnellement plus attachés aux paiements en liquide. Shawndra Hill pense qu’il sera plus difficile de convaincre les Américains de renoncer à leurs billets verts. « Il faudrait sans doute de fortes incitations, voire des taxes, pour rendre plus onéreuse l’utilisation d’espèces numéraires », fait-elle remarquer. Jusqu’à présent, le gouvernement fédéral n’a pas mené d’action particulière pour encourager les consommateurs à utiliser les paiements électroniques, à une réserve près : fin 2011 il a plafonné les frais prélevés sur les achats par cartes bancaires, ce qui pourrait encourager les entreprises à promouvoir cette forme de paiement.

Les cartes prépayées sont également un élément-clé dans la transition vers une société sans numéraire, ajoute Shawndra Hill. Ces cartes ne sont généralement pas liées à un compte bancaire ou à des données personnelles détaillés, ce qui pourrait leur conférer de réels avantages en termes de confidentialité et d’exposition au risque. Introduites à l’origine comme un moyen d’atteindre les consommateurs à faible revenu, elles ont conquis peu à peu l’ensemble des groupes sociaux. En 2011, aux États-Unis, 57 milliards de dollars ont été réglés par ce moyen, et ce chiffre devrait croître sensiblement pour atteindre 167 milliards de dollars en 2014, selon une étude de Mercator Advisory Group. « Les cartes prépayées ne sont plus un produit réservé aux personnes défavorisées et à faible revenu », note Ron Shevlin : « Il s’agit désormais d’un produit financier classique. »

La part du diable
En attendant, on continuera à imprimer des billets et à frapper de la monnaie. Ce qui fait les affaires de tous ceux qui ont intérêt à dissimuler leurs transactions, et empêche ainsi l’État de taxer certaines transactions.

On sait ainsi que le segment de l’économie où l’on utilise le plus de liquide, et qui par définition n’apparaît guère dans les chiffres officiels, est le marché noir et le trafic de drogue. « Je pense que le point le plus intéressant, c’est où est utilisée la monnaie actuellement », affirme ainsi Jack Guttentag. L’économie de la drogue compte parmi les principaux utilisateurs de liquide. »

Il ajoute qu’une grande partie des devises américaines en circulation sont également expédiées vers d’autres pays comme le Zimbabwe, qui a adopté le dollar quand sa monnaie s’est effondrée. Le Trésor américain estime que 1,03 milliards de dollars en numéraire sont en circulation en 2011, un chiffre en hausse de 9,8% par rapport à l’année précédente, mais qu’environ la moitié de cette somme circule en dehors des États-Unis. 165 milliards de dollars ont été imprimés en 2011, 22% de moins que l’année précédente.

L’Américain moyen, qui n’est généralement pas impliqué dans des activités maffieuses ou la finance internationale, utilise quant à lui ses billets pour les paiements de personne à personne. 53% des transactions entre personnes se font en espèces (contre 27% en chèques), selon le rapport d’Aite Group. Une forme bénigne d’économie souterraine… « Mais sinon, note Shevlin, comment allez-vous payer le gamin qui tond votre pelouse ? »

Paris Tech Review

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